Nature fossile par MV Michel Vautier, artiste peintre, Aix en Provence, novembre 2022
Muriel Dorembus nous présente à la galerie Papiers d'art quelques spécimens de « Nature fossile ».
Ses visions viennent ici autant du fond de la terre que des abysses, de petits sous-bois ou de fonds de mares que du haut du ciel. Elle nous ouvre son livre aux pages stratifiées de matières colorées pour nous emporter dans une spirale d’altérations, de plissures et de déchirures, traces d’une violence passée et à venir où la mort ressuscite la vie. Car la peinture est ici victorieuse, les couleurs toujours somptueuses, créent à partir du chaos et du hasard parfaitement orchestrés, de magnifiques apparitions où l’invention fractale de l’artiste peut autant nous emporter dans un paysage vu du ciel que sous quelque plantes d’un terrain vague.
Sa peinture patiemment élaborée de couches picturales enfouies et fossilisées nous y révèle à chaque fois la beauté d’une nature rêvée.
Le bestiaire chimérique par Émile Brami , écrivain et galeriste, Galerie D'un livre l'autre, Paris, mai 2019
Le travail de Muriel Dorembus interpelle et dérange car on ne sait pas exactement ce qu’elle veut nous montrer et il est probable qu’elle-même l’ignore. Par accumulations, grattages, reflets, empâtements, collages, couleurs qui s’interpénètrent estompant les contours, elle fabrique une matière qui dessine de puissantes silhouettes semblant à la fois surgir brutalement de nulle part et être là depuis toujours. Face à ces magmas d’ombres, on croit deviner des formes animales sans pouvoir les nommer vraiment, ni savoir quelle force mystérieuse, venue de très loin, les anime. L’interrogation qui traverse immédiatement l’esprit n’est pas : « Que veut-elle nous montrer ? », mais : « Que regarde-t-on » ?
Que regarde-t-on ?
… Mammouths, cerfs ou bisons, dessins rupestres arrachés un bref instant, par un trait de lumière fugace, à la paroi humide d’une caverne ?
… Sur les ruines de murs écaillés, érodés par la pluie et le vent, les vestiges de quelque fresque naïve venue de temps immémoriaux, représentant des espèces fantasmagoriques réunies par un Noé myope et désemparé ?
… Ébauches reprises encore et encore jusqu’à ce que le sujet disparaisse sous les repentirs, jetées puis oubliées dans un vieux carton à dessin par un artiste insatisfait, las de devoir toujours recommencer ?
… Songes inquiétants, cauchemars de fin de sommeil que le retour à la réalité efface peu à peu, dans ces moment troubles de l’aube, quand le jour et la nuit s’enchevêtrent sans que nos esprits puissent les démêler ?
… Traces d’images confuses, ne se rattachant à rien de précis, imprimées pour des raisons mystérieuses dans le chaos de nos mémoires ?
Que regarde-t-on ?
Ici, il s’agit peut-être d’une chimère raboutant quelques espèces inconnues, à moins que ce ne soient deux bêtes au pelage roux qui copulent sans que l’on puisse distinguer l’une de l’autre…
Là, derrière ces yeux jaunes, est-ce le corps noir d’un chat, d’une panthère ou d’une salamandre ?…
Immense ou minuscule, chaque tableau, est une évidence multiple et indéchiffrable.
« Lire, écrivait Balzac, c’est créer à deux ». Muriel Dorembus nous démontre qu’il en est de même pour la peinture. Ses réalisations sont-elles des prémisses (amoureux ?), les premiers mots d’une histoire qu’elle nous chuchote à l’oreille, sans en dévoiler le sujet ni en raconter la fin, nous laissant le soin de d’inventer le récit à notre guise ? Devant ses œuvres, nous redevenons alors ces enfants éblouis et fébriles que nous avons été, qui veulent à la fois être transportés ailleurs, rire de plaisir et avoir peur avec délices. Elle feuillette pour nous quelques pages d’un livre de contes, terrifiant et merveilleux : s’y côtoient des animaux gentils que l’on voudrait caresser, des chiens sans tête qui pourtant aboient, d’éternels méchants loups et ces monstres aveugles qui rodent dans notre inconscient, protégeant de leurs dents, de leurs cornes et de leurs griffes, dans des recoins mystérieux, quelques désirs coupables.
Muriel semble nous dire à travers ses images :
Oubliez vos questions… Avec ce que vous croyez voir, avec ce que vous avez ressenti, imaginez le reste…
Rêvez…
Les Panses-bêtes par MV Michel Vautier, artiste peintre, Aix en Provence, octobre 2018
Sur les parois de la grotte inversée, les parois du crâne, de l’intérieur du crâne, elles apparaissent.
Sous la peau, sur l’envers de la peau, dans le corps lui-même, elles s’incarnent.
Couche après couche de calcaire et de chair, les Panse bêtes émergent de la peinture.
En se jouant des failles et des blessures de son corps intériorisé, de ses circonvolutions cérébrales
imprimées sur le suaire de la toile, elle peint ses Panses bêtes pour ne pas oublier.
Certaines bêtes solitaires s’enfuient, s’effacent dans les fonds tourmentés, émergent des lointains
irradiés. D’autres ne sont plus que des plaies ou attendent.
Les couples se mélangent, se chevauchent, se mordent, se dévorent, tant affamés d’amour que
certaines étreintes par leur paroxysme en deviennent inquiétantes.
Mais dans ces peintures de la déchirure hantées par ces bêtes fantomatiques, le raffinement des
accords colorés diffuse une lumière bénéfique qui apaise l’inquiétude et la souffrance. Car ces
créatures sont peintes avec la douceur et la tendresse du regard renversé de Muriel Dorembus.
FOSSILES (à propos des lieux-dits de Muriel Dorembus), poème de Geneviève Adda, Paris, août 2018
Le monde cherche son bord…
sa mémoire muette
son passage,
son écho de silence
entre regards d’encre et couleurs délavées,
ce qui reste sous la paupière
une fois l’oeil retourné au ventre
battant de sa nuit.
Indistinct rivage mi vu et mi rêvé.
Buvard se fait l’oeil
naviguant
ce brouillard qui se hâte
toujours plus loin
appelé.
Chairs et nuages liés
longues empreintes de l’oeil passant …
Comme à travers la vitre du train
roulent les vagues des arbres,
celle des champs et des monts,
cime des
lignes de fuite embuées
que voyage d’un trait
la pensée à ras bord
relançant sa prière voyante
qui est effeuillement
et offertoire.
Est-ce ainsi que les enfants ouvrent dans leur berceau
la danse de lumières et d’ombres
la palpitation
des surfaces qui se détachent de leur fond
comme l’écorce de l’arbre ?
Le sens et l'innocence par MV Michel Vautier, artiste peintre, Aix en Provence, août 2017
Oh ! ces fantaisies
Passionnelles, elles
S’approchent saisies
S’ignorent, et puis
S’embrasent, sauterelles
Epuisées se rient
Quand soudain, cruelles,
S’étreignent, s’enfuient
Si vite, à tire d’ailes
De loin, ça suffit bien,
pour qu’elles s’épellent Des yeux elles se fient
Consonnes et voyelles
En s’épouillant se confient
Pleurent immortelles
Chorégraphies immobiles, les fantaisies passionnelles de Muriel Dorembus mettent en scène les ébats / débats de figures émergeants de leurs sédiments colorés.
Sous son apparente ingénuité se cristallise une peinture archaïque et délicate aux formes périlleusement structurées de matières et de couleurs sophistiquées sur fonds chaotiques. L’ensemble exprime une sensualité originelle, à la fois brute et innocente que chacun de nous retient cachée et oubliée au fond de son humanité fragile.
Ni racines ni frondaisons par MV Michel Vautier, artiste peintre, Aix en Provence, décembre 2015
Après ses figures « dévisagées » et ses paysages « déshabités », Muriel Dorembus a choisi de développer une série de peintures sur les arbres
« déshérités ».
Ni racines, ni frondaisons, juste le rythme des futs et les couleurs qui crépitent dans les creux de la matière picturale. Les origines terrestres sont occultées et l’aspiration céleste aveugle. Les torses des troncs souvent séparés et régulièrement espacés, se tendent à l’unisson dans leurs solitudes sur de fragiles papiers métamorphosés en écorces stratifiées de peintures et d’encres.
Reste le jaillissement, prétexte à peindre l’infinie complexité des tons. Chacune de ces peintures d’arbres est un rythme, un accord de couleurs, un poème haïku qui exprime une hypothèse picturale. Parfois une ondulation animale ou l’évocation d’une souche commune viennent troubler la digne verticalité. Mais dans chaque configuration s’exprime la solidarité des différentes entités, jamais confondues, qui s’épaulent, s’épousent, se conjuguent pour mieux se dresser.
La peinture de Muriel Dorembus s’appréhende à la fois dans son caractère sériel, qui se développe avec une humble ténacité, et dans l’unicité de chaque pièce où s’exprime son intime richesse.
Bosquets d’arbres solitaires cachant la forêt de la multitude solidaire.
Bosquets d’arbres solidaires cachant la forêt de la multitude solitaire.
Des lointains familiers par Marianne Rillon, Galerie Art Aujourd'hui, Paris, juin 2015
Les paysages et figures des artistes que nous présentons pour cette seizième exposition (la dernière avant fermeture estivale) semblent venir d'un ailleurs indéterminé. Mais bien vite, nous les apprivoisons. Nous y retrouvons nos états d'âme, notre intériorité. Les fragiles silhouettes de Pierre Yermia, celles de Muriel Dorembus, au bord de l'effacement, nous parlent de notre condition. De même, les paysages d'Amélie Ducommun vagabondent entre réminiscences et sensations. Chacun, avec son langage, évoque la parenté avec ce qui nous entoure : le monde est notre famille .
Les paysages de Muriel Dorembus sont de nulle part. Les cieux entrent en fusion avec les éléments terrestres et s'infiltrent dans le miroir des montagnes, des rochers, de l'eau. Toujours présent, le partage entre ciel et terre se dérobe pourtant à notre regard. Nous demeurons suspendus entre rêve et réalité. Muriel Dorembus nous invite à un voyage intérieur où le lointain et l'intime se rencontrent. « La terre s’imprègne d’eau, l’eau se gonfle d’air et le souffle du vent se suspend comme pour mieux répondre à une représentation de panoramas invariablement introspectifs. » écrit-elle. La légèreté de l'encre, quelques rehauts d'acrylique suffisent à exalter nos états d'âme. Nous ne sommes pas face à un paysage, nous vibrons à l'unisson de la nature.
De même, les figures de Muriel Dorembus, silhouettes incertaines, visages effacés, imposent leur présence par leur évanescence-même, celle de la fragilité de notre condition. Ainsi livrent elles leur propre combat.
Les yeux clos par MV Michel Vautier, artiste peintre, Aix en Provence, juin 2015
Que cherche Muriel Dorembus dans ses paysages désertés, pleines mers, monts et vallées, ses figures lacérées et muettes, parfois excentriques ?
Peut-être réincarner des mondes disparus, les figures des aïeux, les paysages des ailleurs…
Du fond de ses yeux clos naissent des images aux visages absents ou aux cieux blancs.
Les couleurs, dans leurs présences tenues et ténues scintillent, telles des pépites au sein de sédiments et concrétions de gris et de bruns délavés, érodés par les pluies et les orages.
Ne restent que la minéralité de l'absence.
Muriel Dorembus ne veut rien, rien cerner, rien enfermer, elle nous ouvre juste les horizons et les regards de son intime silence.
Artiste patiente et obstinée, elle guette le miracle des apparitions au risque de disparitions et destructions radicales.
Feuille après feuille, la peinture se structure, s’affine pour inventer une écriture, le livre peint d’un monde intérieur.
Ut pictura poesis par Aline Jaulin, critique d'art, Paris, avril 2012
En regardant les paysages de Muriel DOREMBUS, on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase du poète grec Horace, écrite il y a deux mille ans. En affirmant que la poésie est comme la peinture, il introduisait dans les esprits le possible rapport entre l’intellectuel et le sensible. Cette pensée qui suscita des débats passionnés dans les milieux artistiques dès la Renaissance engendra, contre toute attente, un cloisonnement entre ces deux formes d’art. Heureusement, celui-ci ne survivra pas au génie de Baudelaire et de son nouveau concept d’écriture : le tableau-poème. Est-ce le poète ou est-ce le critique d’art qui créa l’analogie entre peinture et poésie ? Probablement les deux…
Chez Muriel DOREMBUS, la poésie est inhérente à sa peinture, elle se lit à fleur de toile à travers ses harmonies colorées. Depuis plus de vingt ans, cette artiste parcourt le monde. Inlassablement, elle le regarde, l’écoute, s’arrête puis repart, se délecte du silence et s’en nourrit. Passionnément, elle aime la nature, ses couleurs et ses odeurs. Elle aime aussi la solitude et c’est pourquoi ses voyages sont, souvent, très longs. Mais lorsqu’elle en revient, ses récits sont si poétiques, parfois si graves, que le temps s’est suspendu. Reste alors l’essentiel, la présence, celle qui donne au silence, sa voix.
Ce monde est un monde connu d’elle seule, fait de rencontres, de paysages et de nuances. Un monde où la lumière se dilue dans des nuages blancs, roses, gris-verts, glisse sur le bleu d’un ciel, se pose sur les rives d’un étang ou d’un océan. Ici, la terre a retenu les eaux dormantes et le vent s’est assoupi. Là, l’atmosphère a déposé un voile délicatement teinté. L’artiste recrée pour nous, une nature sereine et poétique qui le reste encore sous ses ciels d’orage. Des parfums et des bruits nous enveloppent, nous arrivent par touches colorées et se diluent dans la transparence de la matière. Pourtant, derrière le calme de ses paysages se cache une force inattendue qui nous rend contemplatifs au point de nous soustraire aux tumultes du monde qui nous entoure. Et c’est bien là, tout le talent de Muriel DOREMBUS, nous emmener avec elle pour nous faire découvrir des espaces inconnus, régis par une dialectique patiemment élaborée. En ce sens, on pourrait dire que ses paysages ont une portée philosophique dans la mesure où ils influent sur notre pensée pour la libérer.
Rares sont les peintres contemporains qui réussissent l’exploit de transmuer la couleur acrylique en une peau si diaphane, teintée de nuances aussi subtiles. La pâte colorée se métamorphose en un espace vivant fait d’eau, d’air et de terre, par une gestuelle lente et délicate. Chez cette artiste, la technique est acte poétique et non procédé, c’est pourquoi ses paysages sont habités. A l’évidence, leur beauté participent de cette attitude intellectuelle et sensible. Comme le disait Henri Focillon « L’œuvre d’art est une tentative vers l’unique.
Elle est matière et elle est esprit, elle est forme et elle est contenu ».
Dans une nouvelle série qu’elle nomme « Mémoires », Muriel DOREMBUS aborde l’être humain dans sa force et sa fragilité. Ses premiers tableaux, présentés dans le cadre de cette exposition, dénotent une même sensibilité mais nous transportent dans un tout autre univers.
L’artiste nous emmène dans d’autres lieux, d’autres espaces où nous sommes confrontés à nous-mêmes, à notre condition et au temps qui nous régit. « Le corps s’ajuste à son histoire et se transforme, émerge, se couvre, se découvre, cherche sa parenté, visite sa mémoire » écrit-elle dans ses carnets.